Entre le silence et la voix (Éditions La Porte, 2014)

 

 

 

 

les lignes de la terre ondulent.

 

marcher est sans destination.

 

quand la brume effleure le sol, les présences des pierres sont dites, ou murmurées.

 

peut-on écrire sans directions ?

 

                   ...

 

la brume efface, les pierres froides sont frôlées, exhumées de l’absence qui aveuglait les regards.

 

pluie et temps ruissellent, creusent la terre.

 

écrire est là où la fragilité de la page se rétracte, ces sortes de sillons.

 

                    ...

 

je voudrais traverser la lande opaque des voix.

 

mais écrire, la couleur de l’encre, l’envers de dire.

 

sous l’obscurité, la clarté existe-t-elle encore ?

 

est-elle immobile ?

 

                    ...

 

je voudrais voir les pensées, déposées, avant qu’elles ne deviennent voix, mots.

 

qu’est-ce qui vibre entre le silence et la voix ?

 

qu’est-ce qui se déploie entre l’absence et le corps ?

 

                    ...

 

peut-on entendre, dans les voix, les graviers de silence ?

 

je voudrais écrire, que les mots ne disent rien.

 

                   ...

 

qui guidera la main pour délier les lettres, pour tendre doucement le fil, alourdi par l’encre ?

 

                    ...

 

il pleut sur les pierres noires des mots.

 

la lumière monte du noir.

 

la lenteur d’une lueur d’étoile sur une pierre, est-elle une nuit ?

 

                    ...

 

un mot écrit est-il le noir de l’encre ou ses lisières blanches dans le papier ?

 

est-il la cicatrice d’un blanc maculé ?

 

                    ...

 

quand le ciel se retirera, une neige constellera la plainte.

 

brume et pierres seront recouvertes.

 

un silence épais s’enroulera autour des mains.

 

resteront des gestes étroits, des hachures saccadées, soustraction du corps aux chemins parcourus.

 

                    ...

 

aller, venir, inlassablement, est voix d’arasement.

 

l’encre, s’épuisant, avance vers une cendre pâle.

 

où disparaissent les reliefs usés des écritures ?

 

                      ...

 

l’air est comme gribouillé par la pluie que bouleverse un vent violent.

 

je voudrais écrire une page saturée, jusqu’à un gris uniforme.

 

les mains sauront-elles tisser les lettres et les mots ?

 

les mots sont des herbes.

 

                    ...

 

peut-on entendre le son de l’illisible ?

 

les paupières sont ciel obscur, des horizons sombres se posent sur les épaules.

 

                    ...

 

dans le caisson de la nuit, remuer des voix, des mots.

 

on entend une rumeur estompée.                                                                                                    

                                                                                 

  (mai-juin 2013)