1. LE REGARD DE L'EAU
voir
et jusqu’à l’os
tailler des angles
...
on cherche
les biseaux de la langue
sous l’ombre des doigts
...
de l’angle entre
2 branches mortes
faire un poinçon pour
tenter de
ciseler les mots
...
on ne garde
d’un chant d’oiseau que
l’espace infime
qui relie
3 notes
répétées
inlassablement
...
depuis le cercle
fluide
l’impact
d’une goutte de pluie
dans une flaque
jaillit le regard
de l’eau
qui transperce
et brise l’œil
...
tesson de lumière
est
ce qui échoit
qui réduit à
gravats de douleur
...
alors on
se couvre de poussières
et c’est là
ce qui murmure
2. FALAISE OU CRI
par la lèvre fendue
on
traversera
...
porter au front
semelle
d’un écrit de terre
piétiné
martelé
saluer
troncs d’incandescence
et arbres droits
...
le souffle
de la forêt
prend une voyelle
à peine soulevée de
l’écorce de la langue
il
la consume
jusqu’au froid
quoi
resterait à lire dans
une scorie de mots ?
...
le regard qui s’écorche
gravit
les troncs équarris de la mort
il porte
les pailles sèches
de l’esprit jusque
sur leurs pointes
acérées
...
au-dessus de
la combe froide
on s’appuie sur
le bâton battu du cœur
on attend
on est respiré
en avant de soi
...
un soleil
petit
brille au sol
vient
poussière pâle
depuis la roche
qui appelle depuis
la lumière
qui démultiplie les aspérités
minérales
...
un mot
posté en sentinelle
falaise ou cri
tranche
visage levé
fauche pieds et mains
il nomme dans
ce qu’il a
retiré
...
marchant elle
réduite à roc
pierre à pierre
est hissée par
voix basse
gong de ciel
qui inverse le silence
...
socle arasé
est une terre
qui tourne
horizontale
face
contre ciel
...
défaite de
tous les linges
de sa peau
elle
était
aride
page
et sel
elle s’en va
sans elle
3. LINGE DE LENTEUR
marcher est
un corps
pieds souffle nuque
des alternances
longues
penser à peine
…
rocs immenses
on voit
bleu qui déchire
yeux lointains on voit
pierre et
l’absence de la pierre dans
un revers d’ombre
là où
on attendait
…
quelque chose se replie
dans le dos
un
linge de lenteur
page effacée
...
devant les pas
sentier d’accrocs on
aperçoit
sans voir
un dévidement de vocabulaire
déchiré
...
avec sa
demie langue de pierre
elle tente de
tailler
colonne étroite du souffle
debout
et se brise
pierres à pierres
à l’instant
même
…
on voit
falaises hautes
et la gorge
enrouée
au bleu du ciel
…
on cherche
la cisaille de la lumière
entre quelques mots
branlants
et les yeux
jetés sur le chemin
…
comment boire
quelques gouttes d’eau
dans le torrent quand
on voudrait
renoncer à la soif ?
on cherche l’aride
des doigts
blessés au minéral
une bouche
aspirée par le ciel
…
une fleur rose
est une larme soudaine
sur un clair
de cailloux
…
on s’écroule quand
la fleur vrille
étoile de beauté sur
le front
…
disparaître dans les jointures
entre les mots
elle restera absente
avec
au creux des mains
cristal tremblant
d’une fleur étoilée
4. UNE COMBE BLANCHE
une pierre est venue
au bas de la pente
en avant de
son dévalement
…
qui
un jour
hélait le ciel
la pierre
qui tremble encore
au sommet de l’air ?
…
le regard
est diffracté
roches sont
des poussières de cendres
on boit
l’éparpillement de la matière
…
quand
les dents des rocs
aiguisées contre le ciel
mordent soudain
visage et mains
on
sursaute
on bruine alors
un sel de larmes
ancien
…
des débris d’alphabets
glissaient
entre les lignes
doigts s’égaraient
aux tissages d’encre
et de lumière
…
sous
poids de ciel
on coule corps
filigrane
dans une combe blanche
dans
odeur perdue de la craie
…
là-haut
sans nous
vole
oiseau
5. PIERRES
dans
compter
interminablement
serait geste des mains
d’invisible
restituant ses pierres
à la montagne
…
et ce qui taille
sur les arêtes
scande voix
de litanie
met en branle
les pieds
des métronomes
…
montagne
distribuait sans fin
portions de pierres et
livres opaques
et la lumière
brûlait les bords
…
pierres et pierres
aussi
comptent les mots
sans ordre
jetés à la lumière
égrènent
des délitements infinis dans
les strates rauques
de la langue
…
pierres et pierres
sans pluriel
dans le flux de rivière lente de
la masse rocheuse
elles
coulaient immobiles
…
pierre qui appelle
la pierre
brèche blanche
dans des
constellations de syllabes
minérales
qui résonnent en échos
d’échos lointains
…
si les pierres…
brisées
délitées…
les lettres du nom aussi
avec quelques cristaux
agglomérés
les pierres…
frappées au feu
d’absence
…
calcite immiscée
entre 2
amas de pages
est blancheur
langue cristallisée
dans des
combustions d’ères
minérales enfouies
langue
treillis de silence
…
des strates
récits
lignes de signes gravés
amoncelées
serrées
pressées
sous le poids
des jougs géologiques
sont tues
depuis toujours
soudées elles
retournent le temps
page
lissée de lumière
sur
noir d’ombre gris
de cendres
…
pierre cariée
aussi
est la pierre et
on rouille
à son
frottement
…
ce qu’il advient
du nom de la pierre
quand on le porte
dans les mains
est un repli de langue
un revers d’ombre
compact
où on peut
attendre
…
pierre roc
la pierre
sonne plus clair
dans le mot rocaille
et cascade
sur les pentes
en bas
dans la lumière
caillou
est un nom d’enfance
on
posait triait
on rassemblait pierres
cailloux
tailles
et couleurs
on posait sans dire
quelqu’un marchait longtemps
tournait les pierres
dans le noir de
sa bouche
…
mais
pierre émeraude
le roc vert
et noir presque
luisant
frappe tambour
au fond du ventre
entonne voix grave
de terre ancienne
sous les lames
de la lumière
délivre
antre transparente et
pulsent sangs sombres
souffles
d’avant
vivre
où
sans nom
est un silence
6. SUR BORD ÉBRÉCHÉ
derrière étaient
ombres alignées
et revers de roches dans
pesanteur
indemne
forêt refermée
avec son
paquet de souffle
retenu
ses
moissons de
fermentations
mêlées de terre
…
dehors gravi
est
une peau étincelle
toile poinçonnée de fleurs
s’étire comme
un ciel
tous
rayonnements végétaux
entourent les yeux
paupières
de couleurs et
papillons
effeuillés
…
on tourne le livre
au-delà
reflets
d’étoiles invisibles
sautent les pages
on nomme…
ou fragments de braises…
…
borderont le
couloir de ténèbres
montagnes et rocs
têtes découpées
nous regardent
au fond
en pattes d’insecte
gourd
qui dérapent
sur l’humide
…
on sait la lointaine
agonie
pour tenter de
se hisser de la fosse
encore demain
elle
se jettera
dans le puits
…
on redoute
blessure échevelée
qui effiloche les laines de
blancheur
qui
ruisselle le bras
de l’écriture
l’engouffre dans
le goulet de noire
combustion
le raye
de la langue
…
pieds de lenteurs
sur la lande
on cloue les pages
d’un livre
hier on l’avait
couvert d’encre
on avait
recouvert
les ventres martelés
les riens d’enfants
battus à mort
…
mèches de vent
froid
bousculent
nous refluent
caillou craché
…
l’air
nous déverse sur
bord ébréché
nous
abandonne regard qui souffle
petit
ras de sol
où
s’enroue lent
le lac émeraude
Queyras, juillet 2017