"Papiers"




MATIÈRE PAPIER

 

On se demande pourquoi recouvrir des papiers de peinture si c'est, pour, presque aussitôt, les laver, les frotter, les brosser, les débarrasser de cette gangue.

C'est qu'un papier (je parle des "papiers ordinaires", tout seul, sorti d'une manufacture, est comme une écaille, laissée là, mais indemne.

On l'oublie, il est éteint.

 

Des peintures vont recouvrir des papiers et, grâce à l'eau, de la couleur va pénétrer au cœur des fibres, va les teindre, s'immiscer...

Mais cela, on ne peut le percevoir qu'en effaçant, en enlevant.

Sous la peinture, les papiers en sont que des supports, sont recouverts.

Besoin de les retrouver.

C'est leur matière qui manque.

Les traces des gestes, avec couleurs et outils, maladroites - ou moins - donnent la nausée de soi.

La voix de la matière, celle du papier, semble bien plus juste, là et silencieuse comme le monde.

Alors, il faut laver, enlever, retrouver la matière.

C'est plus ou moins facile, parfois c'est impossible, souvent, et des papiers sont perdus.

Mais, de temps en temps, au bout de bien des gestes d'EFFACEMENT (eau, éponge, brosse), quelque chose vibre enfin.

Il semble alors qu'un papier revient à la vie.

Il est ruisselant, tellement fragile.

Je songe à ces terres, au sortir de quelques mois passés sous la neige.

Elles resplendissent d'épuisement, sous le soleil.

 

Quelque chose, là, en accord.

Il y a une unité.

Avec les papiers, rendus pantelants, chercher, pareil, une unité.

Dire, à voix pâle que le silence écoute.

février 2014

EFFACEMENT

 

il faudrait dire l'effacement, que les mots n'écrivent pas mais érodent, révèlent des inclusions, des fragments, une vie absentée.

effacer aussi, avec les mains, ce qui obstrue les papiers.

 

avec les mains, éroder.

elles miment des temps géologiques, des temps d'usure.

 

abraser, polir, comme on fait avec les pierres.

des structures  internes apparaissent, matière même.

 

il est aussi d'autres effacements, oblitérations plus ou moins violentes des choses.

un  horizon, peu à peu, disparaît dans une brume.

 

il faut, au corps, une voix très basse, sa propre disparition, dans la pupille de ses yeux.

 

c'est la brume qui prend l'horizon.

c'est le corps qui disparaît derrière une crête.

 

tu le vois.

 

disparu, c'est un peu tard, un peu "trop", mais quand il... disparaît... mouvement...

 

étant au bord.

lisière.

 

dans le mouvement de disparaître, de s'effacer, le mouvement de respirer...

 

tu marches dans tes mains.

février 2014


les noirs...