immobile et tue
est la pierre blanche
de l'esprit
I.
on voudrait
dissoudre les linges
dans le ruisseau
sous l’ombre
et
sous la pierre
dans le tamis des doigts
laver le sel
et la poussière
..................................................................................................................
on voudrait
rincer la langue
cacher profond les restes
dans le terrier sous la souche
noire
..................................................................................................................
on pourrait
effacer le corps
jusqu’à la perte
des énonciations
marcher dans l’ombre
l’autre avance
sans nous
sur le chemin
..................................................................................................................
on pourrait
séparer la bouche
et la voix
regarder
dans l’écart
les bromes et les graminées
s’écheveler
..................................................................................................................
on s’écorche encore
contre le sombre
des écorces
mais
les frôlements de la lumière
nous font
une chevelure
un double d’étoupe
où niche la brûlure
des mots
..................................................................................................................
on voit
dans l’herbe
faner
la peau déchirée
d’un masque
..................................................................................................................
quand on atteint
la forge des montagnes
on se place
sous le filin d’acier
du soleil à son zénith
..................................................................................................................
on pose la tête sur l’enclume
on frappe
le tambour du feu
..................................................................................................................
quand la lumière d’orage
grave dans les roches
des froissements
des plis et des angles
on pourrait prendre
dans nos bras
la montagne qui s’écroule
rejoindre le flot des rocs
jusqu’au delta
..................................................................................................................
on entre
un instant
dans le halo de la pluie
..................................................................................................................
on avance
cariée comme les pierres
..................................................................................................................
au soir
un corbeau
s’est posé
sur notre nuque
et veille
II.
qu’est-ce qui voile
nos yeux
ce peu de brume
de poussière de larmes
et l’orage
ce qu’il pose
déjà
sur notre langue
en avant de lui
..................................................................................................................
ça pourrait être
une goutte de pluie
une virgule d’air
pétale transparent
quelque chose…
..................................................................................................................
quelque chose comme
un filet de voix
mais impalpable
................................................................................................................
une brume de mots
on la voit à peine
qui effleure
là-bas
la ligne oblique
de la montagne
..................................................................................................................
on est là
on se traîne sur
la pente
on monte
..................................................................................................................
ce qui arrive
dans notre dos
est silencieux et lent
implacable
..................................................................................................................
on ne voit rien
on ne se retourne pas
mais on sait que quelque chose
qui roule
et avance
pousse l’air
au devant de lui
.........................................................................................................
quelque chose
qu’on voudrait dire
…
nuage
ondulations
ressacs
…
..................................................................................................................
on voudrait
que notre phrase
rampant vers le ciel
relève
sur sa face interne
une empreinte
de la montagne
pierres et failles
ravines
quelques arbres
mais le silence…
..................................................................................................................
mots qui se défont
imperceptiblement
qui se dissolvent
dans l’air
..................................................................................................................
peut-être que
ce qu’on voudrait
essayer de dire
est la matière évaporée
de la brume
la peau effleurée
de la montagne
nue
III.
on voit
dans les flaques
les inverses des arbres
et l’arasement blanc
de la montagne
..................................................................................................................
il y a
au creux des mains
des rides brûlées
des sillons noirs
..................................................................................................................
par l’œil de l’eau
on voit monter
notre père
on ne sait pas depuis quelle
profondeur
les jours les doigts
on ne sait pas
compter
..................................................................................................................
il creuse la terre
profond
les bords
écroulés
il pose le chien
dessous
la table pâle
d’un rêve
insomniaque
..................................................................................................................
on dit
des corps et de la poussière
qu’ils sont issus
d’une même source
et toi tu trempes
tes mains
et bois
à cette
aridité
..................................................................................................................
on lève les yeux
vers la pierre
sentinelle
et quelque chose
de nous
s’enfonce
dans les fissures
..................................................................................................................
quelque chose
qui entend encore
la glace et le froid
briser
les minéraux
..................................................................................................................
c’était une nuit…
on voyait
les membranes
se déchirer
les ombres
se désarticuler
..................................................................................................................
au revers de cette page
de chair
on est éboulé
au bas de la pente
on se brise
avec la rocaille
..................................................................................................................
on se demande pourquoi
le cri rauque de l’oiseau
racle
le fond étroit
de notre gorge
..................................................................................................................
on se demande
si c’est le froid
des mots
qui a rompu
notre langue
..................................................................................................................
on ne sait pas
si c’est
notre voix
qui erre là-haut
ou l’oiseau
transparent
qui surfile
le jour
..................................................................................................................
on ne sait pas
si c’est notre peau
qui écorche nos mains
… notre poussière
IV.
le premier mot
pour voir
est un genévrier
vieux
qu’on effleure
dessus dessous
son cercle rampant
on tourne autour
..................................................................................................................
les noms des choses
herbes lumière
les noms qui volent
quelques martinets
ce froid
un peu
dans le vent
la montagne cassée
là-haut
les noms des choses
sont des cailloux
qu’on heurte
du pied
dans le chemin
montant
..................................................................................................................
il y a
la terre
sèche les couleurs
des fleurs
les couleurs
des pierres
il y a quelques marmottes
qui crient
un peu d’eau miroite
dans les creux
du sol
des cailloux qui roulent
une litanie
presque on se tait
..................................................................................................................
presque
une litanie
un sang qui cogne
dans la bouche
des cailloux qui se brisent
contre les dents
l’ombre d’un nuage
dévale
la pente
..................................................................................................................
on sait bien
qu’un peu d’air
ne suffira pas
pour desserrer les lèvres
pour retourner les dos
voir
derrière
voir
ce qu’on ne voit pas
..................................................................................................................
on sait bien que marcher
poser un pied
puis l’autre
scander un peu
des chants
de pierres
ne suffira pas
pour dire
voir
ce qu’on ne voit pas
dans
ce qu’on voit
voir
ce qu’on voit
dans
ce qu’on ne voit pas
..................................................................................................................
on sait bien
et
on ne sait pas
on se tait
7 vues du Lac Noir
1.
les ombres des feuilles
des potamots
les ombres du contact
des tiges
avec l’eau
rondes
ressemblent à des insectes
aquatiques
qui reposent
noirs
sur le fond de terre fine
du lac
2.
les feuilles des potamots
qui s’entrebruissent
sous le passage du vent
…
on dirait
des petites mains
qui claquent au-dessus de l’eau
à peine
3.
ce qui miroite
seul
encore
au centre de l’eau
après la disparition
du soleil
c’est un îlot de cils
dorés
qui vibrent
un regard entrouvert
jusqu’où
4.
on tourne autour
du lac
on cherche la proue
pour
avaler le vent
à contre-courant
5.
soudain le ciel
a creusé
un puits profond
dans l’eau
du lac
on a cru voir
la chute soudaine d’un roc
un engloutissement
silencieux
6.
quelques grêlons
légers
et l’eau soudain
s’est faite
bâton de pluie
des graines d’étoiles
s’écoulent
7.
le bleu immobile
de l’eau du lac
sous le bleu du ciel
et le bleu agité
par les remous
sont deux bleus
un écart dans l’azur
deux graviers arrachés
aux pierres de
la langue
V.
on marche
on va
on défait
l’écheveau de nos pas
et la terre
est en cendres
..................................................................................................................
on a cru voir
la sphère
d’un temps de paille
se dissoudre dans l’air
pur
et froid
..................................................................................................................
on marche sur le fil
gravé à sec
d’un torrent
dans la montagne
sans croire
à la lignée
de notre nom
..................................................................................................................
on marche
on s’appuie sur
une branche
lisse
on guidait
on martelait
on frappait
les bêtes
..................................................................................................................
cartographie des gestes
et notre paume
…
perdue
..................................................................................................................
on soulève
des écailles
de langue
.........................................................................................................
on tourne autour
des durillons
on lit le sang
inscrit
sur le bâton
debout
..................................................................................................................
nous
laverons les linges
dans les fontaines et
les abreuvoirs
glacés
..................................................................................................................
nous
nous vêtirons
du froid
.........................................................................................................
tu te souviens
d’un ossement
très grand…
de ton bras
portant la mort
..................................................................................................................
tu voudrais rejoindre
ton pays adventif
corps qui respire
là-bas
sans toi
..................................................................................................................
sous les pieds
terre fine
ombres des herbes
ombres des arbres
droits
là-bas pierres
pierrailles
et rocs
levés
..................................................................................................................
tu
marches
tu ne peux pas
franchir
la langue coupée
qui sépare
la langue coupée qui
serpente
au fond d’une vallée
étroite
..................................................................................................................
comment
retourner la page
d’une forêt brisée
face contre terre ?
..................................................................................................................
ceux
qui ne sont pas nés
avancent encore
au-devant de toi
interminablement
interminablement
jusqu’à
une transparence
ciel bleu
rocs gris
lisières blanches
des yeux
ciel bleu
rocs gris
le froid
du vent du nord
..................................................................................................................
la montagne minérale
est notre tu
..................................................................................................................
avec les pierres
qui coulent
sur les pentes
tu pleures petit
tu…
avec les pierres
VI.
on essaie
d’entendre dans voir
sans mots
et
au-delà des chants
des oiseaux
au-delà
des bruissements
de l’eau
des arbres dans le vent
on entend
parler les pierres
…
..................................................................................................................
voix rauques
et fragmentées
basses syllabes
3 notes d’ombre et des poussières de voix
dans l’écho
.........................................................................................................
on entend
les friselis clairs
des graviers qui glissent
sur les pentes
..................................................................................................................
on entend
aussi
cogner
notre cœur en
divagation
..................................................................................................................
on voudrait
que les sons sourds
de notre cœur qui bat
et les sons opaques
et chauds
des pierres
s’entremêlent
ondulent ensemble
une danse un peu
un pas de terre
lente
qui s’élève
vers le sommet
de la montagne
..................................................................................................................
on pose
quelques voix
des bribes d’ombre
et de lumière
un peu du froid
de la rosée
dans la coupe
de notre main
on mélange
longtemps…
longtemps on mélange
jusqu’au noir profond
de l’encre
..................................................................................................................
pendant le jour
on la laissera
s’évaporer
l’encre
…
........................................................................................................
on appelle aussi
dans le silence
les grands oiseaux
des pierres…
les cercles
de leurs vols
leurs ombres furtives
tournant autour
de l’axe
de notre corps debout
..................................................................................................................
on marche lentement
on écoute
..................................................................................................................
un mélèze
à 4 troncs
pousse
depuis longtemps
à
la pointe des pierres
..................................................................................................................
nos pieds nos yeux
n’atteignent pas ensemble
le fil aigu
de la crête
minérale
..................................................................................................................
on pose
un fragment de langue
on l’incline
on cherche un équilibre
précaire
..................................................................................................................
on oscille
sur une pierre
qui tangue
…
qui s’amenuise
..................................................................................................................
le cercle immense
du cirque glaciaire
se ferme dans l’air
de roc en roc
de roc en roc
on va
à l'impossible
dans les ravines blanches
on érode
notre peau
contre les pierres
on frotte on va
à perdre-langue
on va
à perdre-langue
10-17 juillet 2016 (Queyras)