Sels noirs

1.

 

un accent

brisé

 

on ne sait dire

aile repliée

oiseau

qui guette

et une lettre expulsée

de la parole

 

 

strates d’ombre sous

linteau de basalte où

on traverse

nuque couverte

de souffles lourds et

de pages opaques

 

 

on porte un pavé de langue

morte

des résidus

 

on s’incline

 

on soulève sédiments

là où pesaient

sels noirs et

croûtes de silence

 

 

brûler mains et regard

 

forage vertical

vers le ciel

gris

dans la poussière

 

on dénoue

une à une

les herbes du crépuscule

 


2.

 

marquer

les bords

encoches et rives

taillées par

des flots minéraux

qui coulent et raclent

noirs substrats de terre

ancienne

 

 

dans

matières sombres

ciel

nuit

lire est

écart

aveugle

noir

sur noir

 

noir ou

le nom du noir

on écrit

quels silences ?

 

 

coutures d’encres

perforent et clouent

tissus saturés de

récits fossiles de

mémoires cristallisées

 

 

accroupis sont les corps

qui ânonnent

 

leurs doigts aussi

sont des angles aigus

qui suivent les lignes

 


3.

 

puiser dans

livre nocturne

fond de l’étang un

tissu informe

 

racines noueuses

et herbes

fermentées

 

 

toiles et fibres

manteaux

aux plis rompus

respirent et pleurent

limons

boues semées de lettres et

de germes anguleux

 

 

on glissera

une source noire

sous les paupières

 

cendres et lisières des yeux

sont

arrachées par le vent

quand neigent sur les mains

poussières

toutes bruines

charbonneuses

 

 

page ou peau

lente

estompe où monte une nuit

mêlée d’éclats d’encre

sèche

 

 

que reste-t-il

de la langue

quand les encres se brisent

et s’éparpillent ?

 


4.

 

des vols d’oiseaux noirs

on entend

gommer le ciel

 

 

ce qu’on aperçoit

est-il absence

ou rides éclaircies

de la lumière

nocturne ?

 

 

soif éveillée

partitions infimes

 

comment nommer

ces filet d’eau

qui érodent

imperceptiblement

les roches sombres ?

 

 

cristaux et pailles de pierres

noires

emplissent les paumes

quand on ne sait

enrouler les fils

des écritures

qui se défont

 

 

on ne sait pas

fouler le feutre des livres

quand la lumière cendrée de la lune

glisse sur les mots

 

on tourne les pages

saturées de poussières

 


5.

 

il existe

des rivières sombres

coulant depuis

des sources obscures

 

forêts épaisses et

rocs entassés

 

 

chercher le noir

dans l’enchevêtrement des lianes

d’une langue inconnue

et qui pourtant

occupe notre bouche

 

 

les doigts qui

tentent de lire

ressemblent à des fragments de cordes

noués

 

pas de mots

pour irriguer la voix

 

on verse l’encre

sur la terre

poussiéreuse

 

 

pourra-t-on attendre

l’éclosion

des fleurs noires

de la nuit ?

 

miroitement sur

cristaux

d’obsidienne

 

 

on heurte aussi

la porte

du puits d’absence

 


6.

 

préparer un

bagage de cendres

 

courroies que l’on noue

sur les épaules

 

un arbre s’incline

en amont

du crépuscule

 

 

dans l’obscurité

on entend de lourdes

semelles

s’écorcher

contre les pierres

 

 

boire

la sueur sombre

de la lune

 

chercher l’étoile

dans l’encre opaque

 

est-elle reflet

à boire ?

 

est-elle braise ?

 

et nous brûlons nos gorges

au feu de nuit

 nous brûlons nos mains

à quelques traits noircis

au bout de

l’infime brasier

d’un mot

 

 

un filigrane

silencieux

tombe à terre

où se froisse

le linge

du muet

 


7.

 

un peu de craie

plâtre perdu

frottés

ont dessiné

fragment de ciel

blanc

dans la nuit

 

silence au fond des yeux

 

 

derrière la page

on se demande

quel est l’envers du blanc

 

 

brume sur mots

effacés

 

voir

est une pâle

obscurité

 

 

on piétine des soies d’écume

 

on boit

la vapeur noire

de la terre

 

pourra-ton empierrer

toutes les ornières

des sentiers détériorés ?

 

 

qui entend encore

le défilé

des pas rompus ?

 


8.

 

on voudrait recueillir

la sève obscure

coulant de

la langue

frappée sur

l’estrade de la mort

 

 

on regarde un sang de rivière lente

bitume ambré

berges englouties

 

 

mais bâtons

ne seront plus

que pailles blanches

portées au front

 

 

s’élever dans

envol d’oiseau nocturne

dans

déchirure soudaine

d’une page

 

désintégration de

l’aride peau d’écorce

tatouée par

imprononçable

nom

 

(août 2017)

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