Seuils... (du 23 septembre au 23 décembre 2017)
(écriture quotidienne, à l'aube et au crépuscule)
Sur une proposition de Muriel Denis (Atelier de la Dalle): "Écrire un journal du dehors"
Les moulins tournent la nuit
allument nos torches avec des lunes tremblantes
se chargent de notre rogne
et s'éloignent de nos portes
avec les eaux du matin
Seyhmus Dagtekin (Élégies pour ma mère, Éditions Le Castor Astral)
samedi 23 septembre
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dimanche 24 septembre
quelqu'un à peine
tend un fil
trempé de larmes
entre la cendre nocturne
et le murmure infime d'un merle
qui froisse l'ensommeillement
fouillis de branches
obscur encore
***
un bruit sourd indéchiffrable
secoue la mort
ses corps multiples
qui attendaient muets
ils dégringolent
jusque dans les mains
tu
pleures
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lundi 25 septembre
en amont de la clarté solaire
s'éclairent
les feuillages de la forêt
on voudrait
toucher le ciel
qui se souviendra
d'un rocher dérivant
sur un océan de brume?
qui se souviendra d'un père?
il
s'effaçait
sur la page jaunie d'un livre
là-bas grenier
rayé de lames de lumière
où dansait la poussière
on soulevait des caisses anciennes
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mardi 26 septembre
obsidienne grainée du ciel
un pâle lait d'aube
vient abîmer
transversalement
le noir et ses cristaux
tu tentes un geste
vers ta sombre stridence
ton point de dire
mais ils s'éloignent
vols furtifs
toi
seul un rien d'air
entre tes doigts
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mercredi 27 septembre
gravir d'éveil délabré
la pente infime du jour
traîner la paille et une lourde dépouille
conglomérat de mémoire grise
on ne pourra séparer les strates
lèvres closes
on efface quelques plis
pour coucher l'enfant de terre pesant roc
une saveur de père
à la place de
la rivière calme
on borde la brume
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jeudi 28 septembre
quelque chose monte au jour
chaos d'ombres minérales
écho au brame
d'un cerf
pierrier de
fragments de langue
enchevêtrés
gorge érodée
on franchit un fil cendreux
de temps
cherchant un lieu
d'égarement
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vendredi 29 septembre
clarté
montant des herbes sèches
avant le jour
on est cela
cette basse langue
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samedi 30 septembre
les bêtes debout
immobiles ou
ligne des images noires des bêtes
épinglées sur le ciel
qu'on longe
est-ce qu'on marche ou
quels yeux
nous lisent depuis le ciel?
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dimanche 1er octobre
une avancée massive au fond de la vallée
poussée des bêtes
vague dressée soudain
dans le silence
depuis toujours on reflue
en amont de soi
devant la submersion d'une foule
impénétrable
peut-être que là-bas
les cris naissaient
avec les corps...
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lundi 2 octobre
on voudrait tisser
la laine de l'air
sous une capuche de brume
on scrute la lumière
naissante
un jour on était un enfant
muet
on observait
sur tes doigts tu comptes
les oiseaux absents
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mardi 3 octobre
cette bruine de nuit
constellée d'invisible
un pan de brume aussi
glisse entre les plis du sol
on est
ce manteau de feutre blanc
celui qui couvre
l'absence
veilleur de silence
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mercredi 4 octobre
la voix percluse
de quelque chose qui dort encore
entrouvre un passage pour
des tremblements d'oiseaux
on secoue en soi
quelques graines aux enveloppes craquelées
on pourrait les semer
dans le feu du ciel
quand s'inverse
le puits de la bouche nocturne
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jeudi 5 octobre
on ne sait pas écrire
le lent éveil des choses
le ciel cramoisi
les retours furtifs
des chauves-souris
dans des recoins infimes
on attend
les mots s'esquivent dans le silence
un rayon de soleil enflamme
la cime de la forêt
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vendredi 6 octobre
un corps tombé de soi
est pris par
sombres vagues de
nuages
roulé avec
les cercles des dos
bouches ou quoi
enroulent le cri
jusqu'au vertige
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samedi 7 octobre
sang et cendres mêlés sur
une même page
et la faille d'une déchirure
où on se glisse
elle en appelle à
un horizon intérieur
la ligne d'un semis de pleurs
est le sillon
où lèveront quelques gestes
indemnes
à l'issue de l'infini aveuglement
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dimanche 8 octobre
on coule avec
un fleuve de nuages
abandonné de sa source
là-bas un enfant
tombé d'une poche
pleurait en silence
la densité
d'un corps oublié
étant inférieure
à celle des nuages
on est ce fleuve
de nuages
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lundi 9 octobre
on entend
un autre monde
derrière le monde
un caillou de solitude
se déploie
quand la brume s'estompe
et s'évapore
corneilles et merles
ont franchi la berge
un fleuve silencieux
a franchi ses berges blanches
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mardi 10 octobre
une caisse noire
portant ombrage au jour
tu te souviens
d'autres caisses
liées de vieilles cordes et
lestées de mort
tu attends
que les laines du soleil
s'accumulent autour de toi
tu
dessineras au noir
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mercredi 11 octobre
on tient en suspens
l'attente des murmures
respirant des gris
de jour naissant
depuis la terre
on sent monter une sève
non pas lumière
mais reflet
de la lumière solaire
s'annonçant à la source
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jeudi 12 octobre
on étale
un drap de fibres douces
il couvrait la peau fragile de la beauté
tout tremble dans le silence
pleur ne sera rosée mais
l'eau reflétée de ciel
une soif
ancienne
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vendredi 13 octobre
on entend
à peine un éveil dans
la répétition de deux notes estompées
dans la nuit
on aperçoit peu à peu
entre les lignes de cette
partition
l'empreinte à demi-effacée
d'un corps
que l'on déchire
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samedi 14 octobre
on s'imagine
traînant un paquet de hardes
contre le ciel
laissant traces de sang et de cendres vieilles
on voudrait ôter
les écailles de peau
durcie
marcher vers
un nord
minéral
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dimanche 15 octobre
l'encre des lettres
s'estompera sous
une faible brume
on couvre les pages
linge après linge
le livre est
succession des recouvrements
dans la voix de
ce qui se tait
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lundi 16 octobre
jour
en amont du jour
on pourrait croire
qu'on pousse
des brouettées
de ce qui annonce la lumière
vers les sommets
de la montagne
un corps d'enfant était
appel
éperdu
on avance
sous des toiles grises
dans la clarté de l'aube
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mardi 17 octobre
le berceau du ciel
sur le bord du jour
donne
sa victime infime
nous nous relèverons
avec un autre corps
couché
dans notre corps
sommes
une terre funèbre
nous sarclons semons
nous...
quel est le nom de notre bouche?
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mercredi 18 octobre
l'éveil des oiseaux
n'attend pas le jour
une rosée imprègne les noms
là-bas des mots
déformés par le vent
remontent vers le nord
la lumière qui hésite
s'écrit sans nous
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jeudi 19 octobre
on reste sur la rive
délabrée par la nuit
les oiseaux s'en vont sans nous
on transporte
des pelletées d'air gris
et de feuilles
mouillées par la pluie
que le vent
disperse
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vendredi 20 octpobre
on passe par
l'écume des nuages
puis quelque chose
est entraîné sur la pente:
chiffon graviers...
là-bas dans les puits de
décantation
reposent les mots
détritiques
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samedi 21 octobre
on écoute
la rumeur régulière du vent
quelques éclaboussures
on devine
la pente douce des berges
les grands troncs dressés
qui détournent le souffle
poussière du corps
érodé est
infime
disparition
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dimanche 22 octobre
quelque chose en nous
s'abreuve
d'un gris de neige infime
langue contournant
quelques graviers de froid
on ne sait pas
tremper l'encre
aux cris doux des bouvreuils
mais on sait
le carmin des ponctuations
sans
voir
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lundi 23 octobre
si on tourne le dos
contre le vent
on devient roc
on se couvre de nuages
gris
le cri d'un grand corbeau
trace dans l'air
une ligne noire
on cherche au sol
l'écho
la source sombre
d'où nos yeux
nous regarderons
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mardi 24 octobre
muet gris rocher:
matière de corps
les cris d'un grand corbeau
effleurent au fond de la gorge
le souffle
qui tente de prononcer
le silence de
la langue inaudible de
ce qui se tait
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mercredi 25 octobre
regardant les branches de l'arbre
se décharner avec la venue du jour
on pourrait craindre
ce qui nous étranglerait dans l'ombre
mais on sait qu'une main
crispée dans la mort depuis toujours
s'est glissée dans notre main
écrasant nos doigts sur des lettres
depuis toujours
ânonnées en silence
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jeudi 26 octobre
l'un
bêcherait la terre
sous le brasier du ciel
cuirasse du dos et
racines pendantes
au bout des doigts
on pourrait peut-être
attiser un feu de terre
pour que le socle tremblant
qui nous porte
ne chavire pas
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vendredi 27 octobre
dans le ciel
l'échine écarlate d'un nuage et
une masse brumeuse obscure
sont deux guetteurs des antipodes
entre eux
nous ramassons
notre grammaire friable
nous la déposons
dans notre bagage infime
se vêtant d'un peu de jour
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samedi 28 octobre
la forêt bruit sous
le vent du nord
le cri d'un chevreuil
rompt un instant
la rumeur continue
on enroule
cette ligne sonore vers
un autre sommeil
spirale lente
souffle sombre
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dimanche 29 octobre
quelque chose appelle
depuis
l'immense brasier du ciel
on forgerait bras d'enclume
pieds martèleront
rythmes interminables
échos
terre frappée terre frappée
s'ouvrant pour les morts
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lundi 30 octobre
dans la rumeur de la forêt
coule une rivière sombre
cascades et rocs
des corneilles trament
un autre fil noir
on serre un fagot de froid
sur les épaules
on
remontera le jour pour
"construire un feu"
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mardi 31 octobre
on disait:
une nuit fendue
par la hache du vent
on cherchait
les copeaux dans la langue
la mât noir
du grand sapin
souffle et renâcle
on voit s'agiter les lettres
qu'est-ce qui coule
dans le ravin creusé entre
nos deux mains?
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mercredi 1er novembre
les éveils d'oiseaux
sont des petits brasiers
d'herbes sèches
dans l'ombre
quelqu'un soufflera
sur des braises
et le froid mordra les dos
on frappera les feux
avec de longs rameaux d'écriture
et dans le jour
on restera sur le bord éboulé
d'un creusement
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jeudi 2 novembre
soustraire l'oubli
soustraire un peu de nuit
fouiller
dans des brouillons de ciel
de nuages écarlates
chercher bête qui vive
voilà l'oiseau...
collier de pépiements
on
s'égrène
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vendredi 3 novembre
un enfant sombre un arbuste
porteraient le flambeau
d'un requiem
le long de la forêt
donnant murmure
aux ombres froides
un jour
la lumière naissante
voudra les faire
torches lentes
mais
il se glissent
aux pattes des chevreuils
et s'éloignent
trottant furtivement
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samedi 4 novembre
quelque chose
en avant dans l'air
sait
quelles bêtes mourront
ce jour
quand
déboulent les chasseurs
quand hurlent les chiens
nous
nous portons l'air
nous berçons l'air
et la mort des bêtes
nous berçons
la mort saccagée et
le deuil
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dimanche 5 novembre
un abécédaire du matin
détérioré quand
lumière et bruine
trouent ensemble les nuages
comme une sentence
vent
qui gribouille dans le dos:
ruiner le corps
écheveler la brume des bras
on se relève
laissant au sol
les loques et la boue
_________________________________________________________________________________________________________lundi 6 novembre
le jour tamise
quelques cendres et flocons gelés
on tasse
un peu de neige
dans le creux d'une main
un visage y est
inscrit
endormi
on tourne autour
d'un sommeil blanc
cherchant l'éclat la perle
on trace le secret infime d'une lèvre
_________________________________________________________________________________________________________
mardi 7 novembre
bourrasques cognant contre le jour
avec des rives froides dans la gorge
nous courbons le dos
mains de rocs blancs
qui tentent de desceller des mots
de
briser des sommeils noirs
de marteler la cloche du vent
_________________________________________________________________________________________________________
mercredi 8 novembre
devant un estran de neige
quelqu'un dépose une ligne
de petits cailloux noirs
on lave l'encre
des mots silencieux
...
que la neige recouvre
_________________________________________________________________________________________________________
jeudi 9 novembre
la venue du jour
est pierre
immobile
soudée au sol par le gel
pierre:
son souffle sur
la lisière infime
d'une voix
égarée
où fond un tremblement
on regarde la paume
déchirée
ce que la terre a
absorbé
ce que l'eau grise de la lumière
a mélangé de ciel
_________________________________________________________________________________________________________
vendredi 10 novembre
on est corps
aux pieds mendiants
foulant un drap de neige
épaules de clarté infime
ce qui nous voit
est aveugle
quelque part
un battant d'ombre
heurte une cloche minérale
_________________________________________________________________________________________________________
samedi 11 novembre
mains de brasiers obscurs
lignes de naissance et lignes de mort
se mêlent dans les nuages
étouffement des feux
écrire est:
suivre les lignes
couvrir le ciel
chaos de l'encre
où tombent
les pierres et les oiseaux
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dimanche 12 novembre
ce serait
pieu fiché dans un vieux tronc
ce piaulement d'oiseau
qui se répète
nous loge une peur au cœur
corps ployé par
des roulements de nuages
bouche
renvoyée dans la nuit
on tente de suivre
celui qui est égaré
de marcher sans soi
_________________________________________________________________________________________________________
lundi 13 novembre
on froisse là
dans l'aube sale
un chiffon de pleurs
un jour
on l'avait déchiré
dans une vieille toile raidie par
le sang des bêtes
maintenant
leurs dos de statues tournés contre le vent
elles attendent la mort
_________________________________________________________________________________________________________
mardi 14 novembre
c'est encore là
loques de froid
battues par le vent
on se couvre du silence des bêtes
écume blanche serait
le troupeau disparu de la montagne
et le grand bâton
fiché en terre
autour duquel
tournent des oiseaux
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mercredi 15 novembre
une double lune
taillée dans l'air
froid:
berceau et cendres rondes
une matière d'enfant
se dissipait dans l'obscurité
veillée par
poudreuses poussières inclinées
lentille de cristal estompé
reflets diffractés d'un
souffle erratique
nouveau-né
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jeudi 16 novembre
pierres éreintées
souffle rescapé
et lui
porte sa main
arrachée
dans la douleur
suffocation écarlate
des rivières sanguines
dispersions des corps
qui dégringolent au fond
du ravin
des clameurs insomniaques
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vendredi 17 novembre
la porte du noir
obstruée par la nuit
heurtée par
un petit corps qui
repose au matin
sur le talus
un flambeau allumé
embrase le ciel
on retourne les nuages
dans des braises épaisses
quelqu'un dessinera des croix
dans les cendres froides
___________________________________________________________________________________________________________________________________________samedi 18 novembre
dans une
élévation de brume
choisir
les branches immobiles
un chant d'oiseau
dévoiler un jour d'étoupe
à travers le prisme terni
du regard
_________________________________________________________________________________________________________
dimanche 19 novembre
on avait des graviers de ciel
des étoiles
entre les doigts
retirés du feu
ce qui s'éclaire
sur les tombes des morts
et ce qui vibre
dans la gorge
se confondent avec
la venue du jour
on pourra coudre
des lambeaux de mots
balayer la poussière des cris
on alignera les braises
sur les pages
de l'écriture
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lundi 20 novembre
on peut aussi
inattentive
franchir la première marche du jour
nous marcherions sans sol
une vie durant
désaccompagnés de nos propres corps
où
serions-nous?
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mardi 21 novembre
on serait
friche ravaudée de nuit
têtes d'épis
cassés ou relevés
et quelques fronts
captent une clarté
qu'ils réverbèrent
en une boule de pain nu
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mercredi 22 novembre
nous enterrerons peut-être
dans nos poches délabrées
une étoile d'avant le jour
nous tentons d'accorder nos âcres mots
aux modulations des cris
d'un grand-duc:
résurgences de clameurs anciennes
qui perforent les rocs
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jeudi 23 novembre
on traîne encore les pieds
dans un lourd chemin de sommeil
quand résonnent
dans la forêt dans l'ombre
les trompes des chasseurs
un accablement
lourd comme une montagne
écrase
pilonne les mots...
on pose
la pierre précaire d'un silence
sur la stèle des bêtes
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vendredi 24 novembre
on tourne le dos au feu
on s'éloigne avec un bagage de cendres
un corps aux mains opaques
partage
matière d'air
qu'est-ce qui se réflète
sur la paroi translucide
de son dos?
d'où viennent
deux corneilles noires?
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samedi 25 novembre
voiles après voiles
devant les arbres
les uns après les autres
s'absentent et se succèdent
s'absentent et se succèdent
on recule le temps
heure après heure
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dimanche 26 novembre
frileuse tête d'épines
visage tailladé d'air glacé
on boit
au coin des lèvres
rondes larmes de froid
la soif d'un sel matin
est éveillée
braises claires
on se fait
une gorge transparente
limpide sous
la nuée de plomb
on effiloche
des fibres pâles
avant le jour
on délie
quelques voyelles atones
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lundi 27 novembre
cette lumière là
cristalline
prise au drap de la neige
vient secouer ses échardes
sur les lisières
rien n'éveille les talus
la terre gelée
puis le chant
d'un oiseau infime...
on dirait un filet de sang
coulant de la fente d'une pierre
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mardi 28 novembre
désenclavement de la lumière
portée serrée sous les nuages
on protège la flamme
le vent nous bouscule
tord les ruisseaux sanguins
cogne les pierres
on se souvient d'un oiseau
dans le nid des mains
doux frémissements
au cœur des bourrasques de vent
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mercredi 29 novembre
une limaille de neige
crisse entre les dents
les craquements lourds
sous les pieds
font émerger une voix
qu'on ne reconnaît pas
rauque et entravée
de lambeaux d'absence
on se souvient
que quelqu'un pleurait
au bord d'une nuit
on voudrait remonter
vers l'amont du sel
et au-delà
marcher sans sol
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jeudi 30 novembre
sur un pont d'obscur
tendu entre froid
et grisaille d'aube
on trébuche on
se cogne à la chair dure de l'air
aveugle on cherche un corps élégué
qui taillerait passage dans
éboulis de gorge rauque
figés par le gel
graviers de mots désagrégés
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vendredi 1er décembre
dans la nuit
pelletées de neige
éparpillées par le vent
refluent en plein visage
pourrait-on écrire
par poignées de mots
dispersées par le souffle?
On ne sait pas quand
est venu le jour
on remuait la neige et
un peu de lumière
avec les mêmes mains
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samedi 2 décembre
avaler vent et neige
on suffoque
sous les rafales
ce qui nous échoit
dans la lumière blanche
est un caillou de souffle
poncé jusqu'à l'écharde
on construirait
des maisons d'air glacé
on abriterait
des forêts de bêtes
sous des ramures
déchiquetées
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dimanche 3 décembre
on donne
mains et mots
à l'haleine du vent
un peu apaisé
comme on étendrait
un drap de fatigue
pour le sécher des bourrasques
quand on retourne
le livre des morts
il s'illumine soudain
du reflet de
la partition incandescente
des nuages
on sait que quelques visages
retrouveront un instant
un peu de rouge aux joues
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lundi 4 décembre
gris immobile du jour
comme on étend
un sable fin
les mouvements sont les oiseaux
on devrait
porter une plume échappée
jusqu'en haut de la montagne
peindre le silence qui attend
dans son étoffe blanche
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mardi 5 décembre
un silence
comme la marée lointaine
de l'air
on scrute
le gris pâle du ciel
peau et lisières effacées
on est la brume blanche
posée sur le sommet
de la montagne
une tige infime
vibre
sur une note basse
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mercredi 6 décembre
certains
avanceraient vers leurs reflets
au visage de la montagne
lissant l'orangé de la neige
qui s'éclaire d'une lumière solaire
avant le jour
d'autres
marcheraient têtes hautes
vers les embrasements
cherchant à se couvrir de
vêtements de feu à
brûler toutes
leurs lettres mortes
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jeudi 7 décembre
peut-être que
la clarté blanche
qui tremble sur la montagne
reléguant les ombres au bas des pentes
est une vapeur
stagnant encore sur
corps endormis
sur lits de terre
révolus depuis longtemps
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vendredi 8 décembre
visage effondré de pleurs
on enfournerait
le délabrement
des pains du jour
dans la nuit
entre les gris sombres
qui boursouflent les nuages
mains obscures
mêlées à la fonte des pierres
on se laverait
avec le cristal pourri
de la neige
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samedi 9 décembre
grêle qui court
en avant des nuages
ou peut-être
dans la mémoire
enfants
se mettaient à plusieurs
pour pousser
les lourds rouleaux de neige
cagoules tirées sur les visages
on ne reconnaît plus
la peau lisse sur les joues
les bouches enfouies
sous la laine
on ne sait plus
laquelle on était
parmi ces voix
qui riaient un peu
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dimanche 10 décembre
en cherchant l'étoile invisible
dans un fouillis de brumes
on s'est approchée de l'écorce
transparente
qui couvre
un enfant...
clarté translucide
filet de voix
dans un souffle infime
soulevé
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lundi 11 décembre
la lumière des lampes
de l'étable
comme un lait gras
et sale
s'écoule
se mêle à la neige cariée
on entend
entre deux rafales de vent
les plaintes des bêtes
ou peut-être des hommes
anciens
brisés par l'obscur
la pluie
en vain
lave les eaux boueuses
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mardi 12 décembre
la faim
est un chemin d'échines courbes
elle couvre
son souffle froid
de grandes capes de cendres
heurtant la soif blanche
de la neige
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mercredi 13 décembre
nous donnons
jusqu'à notre souffle
au fleuve de la neige
qui file au ras du sol
sinue
rebondit contre les pierres
au vent nous abandonnons
yeux et
respiration
nous avançons
front buté contre des murs
de vapeur déchirée
un sable acéré
à la place des mots
_________________________________________________________________________________________________________
jeudi 14 décembre
on se sépare déjà
des oripeaux de la neige
on se retrouve là
vêtue d'informe
butant contre le vent
pleurant des pluies glacées
on imagine
des tailleurs de nuit
raclant l'obscur
creusant la boue
repoussant vers l'amont
de hauts murs de neige sale
_________________________________________________________________________________________________________
vendredi 15 décembre
on tombe un peu
neige grise
glace opaque
on ressasse des pentes
difficiles et
les plans inclinés de la nuit
qu'on ne gravit
jamais
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samedi 16 décembre
neige et froid
déploient leurs blancheurs
même les mots
sont enfouis
et figés par le gel
un rayon de soleil
trace une ligne de lumière
sous le ciel sombre
illumine
les vagues de neige
soulevées par le vent
("écir" est le nom du vent
qui soulève la neige)
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dimanche 17 décembre
chuchotements
d'un peu de feu
fusant à travers
une faille
dans des nuages
gris
très sombre
silence et
immobilité de l'air
un bruissement de rivière à peine
comme un épuisement
halte du souffle
là où repose
un corps
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lundi 18 décembre
quand les oripeaux sont
détrempés par
pluie et neige
nous sentons la peau
étroite
devenir
un parchemin
page laminée
par le froid
nous effaçons
3 mots illisibles
rendons luisante
la surface de nos mains
pour nous y
regarder
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mardi 19 décembre
on croisera
des ombres blanches
certaines
s'appuieront sur un bâton
frapperont la neige
d'autres
disparaîtront dans l'air
quelque chose nous soustrait aussi
dans les vêtements du blanc
et la neige craque sous d'autres pas
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mercredi 20 décembre
est-ce qu'on ferait
linceul à la montagne
de cette grande masse de brume blanche?
nous
couchons notre langue
dans le sens du vent
nuages qui coulent...
les ferrailles embrasées du ciel
au soleil levant
sont clôtures de feu
nous
nous taisons
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jeudi 21 décembre
voilà qu'un frère
d'oubli
erre dans la brume
on cueille
ses éraflures blanches
on en fait un bouquet
où cacher le regard
enfouir 2 mains de paille
dans des duvets d'oiseaux
rien ne s'écrit
des encres de brume
sur un long corps blanc
qui s'effile
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vendredi 22 décembre
cocon de cendres pâles
refermé sur
le cirque glaciaire
on songe
à l'envol de
2 bras immenses
qui se rejoignent
au-dessus de la tête
ou peut-être
les 2 ailes
d'un oiseau blanc
marée d'écume et de silence où
on respire
_________________________________________________________________________________________________________samedi 23 décembre
on resserre
un collier d'ombres
sur des restes de nuit
frotter
les croûtons de pain noir
contre la bruine
acide sera
notre salive
mordra le fer sombre
du jour
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la porte du noir
obstruée par la nuit
heurtée par
un petit corps qui
re
sur le talusune laine encore
qui gonfle et estompe l'air
glissée sous
les pierres
sous les racines des arbres
elle soulève
une lumière solaire
autrefois disparue
un flambeau allumé
embr
on retourne les nuagesune lai
qui gonfle et estompe l'air
glissée sous
les pierres
sous les racines des arbres
elle soulève
une lumière solaire
autrefois disparue
dans des braises épaisses
quelqu'un dessinera des croix
dans les cendres fro
qui gonfle et estompe l'air
glissée sous
les pierres
sous les racines des arbres
elle soulève
une lumière solaire
autrefois
la porte du noir
obstruée par la nuit
heurtée par
un p
on s'effraie d'un commencement
de donner un nom aux choses
on songe à écrire quelques mots
quand le soleil décline
quand il n'éclaire plus
qu'un versant de la vallée
avec cette pente de lumière
ocre vif
puisé aux fougères fanées
on s'incline
on rentre dessous la peau
en terre souterraine
où naître était
un épuisement
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on berce le drap du silence
des enfants se couchaient
dans les flaques
et les creux des rocs
dans les nids abandonnés
et ils
disparaissaient
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cerf et ombre
avancent sur la lisière
on est
n'est pas
pierre
d'un peu de froid
rassemblée
d'un
manteau de cendres
recouverte
on est
taillée de nuit
tranchée de mort
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quelques graviers remués et un oiseau
lire le ventre du ciel
vocabulaire de silence
on était dans la main de l'écriture
une autre main nouait
les mots
nous ne ferons plus glisser les pierres
jusqu'au bas de la page
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on ne peut retenir ce roc
lentement submergé
par le flux du crépuscule
sur une berge
on rampe dans l’entaille creusée entre
une ombre accroupie et
une ombre debout
arbre mort criant des ordres
plantant des corps debout
des forêts de
bâtons
secs
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on est taillé de terre
mutique
voix obscures
sondant les puits
à l'inverse du jour
touchant roche et
celle qui
pleurait des enfants
perdus
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_________________________________________________________________________________________________________
nuque courbée par
lueur de lune
nous ne pouvons que
labourer l'ombre épaisse du ciel
tombée sous nos pieds
de quel corps
soulevons-nous une page
couverte de signes
indéchiffrables?
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voix noires des corbeaux
et sous les lisières
l'avancée des cerfs
quelque chose nous construit
de matière d'espace
langue rauque
est notre sang
de qui serions-nous
le bâton nocturne?
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on attend que s'ouvre
le beau livre de pierre
la rouille aura encré les lettres
le carré des morts est silencieux
on voudrait construire les noms
en paille d'obscurité
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regarder
efface le ciel
une demie toile d'ombre
et un brouillard
gris
quelques corps en nous
se souviennent
de la reptation
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un cerf marcherait dans la rivière
en bas
dans l'invisible...
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une volée d'oiseaux
ouvre les doigts de
l'éparpillement
dans l'oubli de la cendre
on souffle sur des poussières
de lumière
un labour d'automne
enfouira
les graines et les voyelles
dans notre terre
détériorée
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_________________________________________________________________________________________________________
au-dessus de la tranchée obscure de la vallée
on dit
"entropie"
un corps de sable
répandu
quand on observe chevreuil oiseaux
quand
la lumière monte du sol
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ruines que porte la terre
friches et
fougères fanées
on s'enroule dans
des vêtements déchirés
ce qu'il manque à la voix
au ciel
est un trou dans l'écriture
une trouée
de lumière
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on dit "cendre bleue"
pour une couleur d'aquarelle
pourrait-on dire "cendre rose"
pour ce ciel
qui reflète le couchant?
que peut-on faire
avec du rose à glisser entre les mots?
mais on se retourne soudain
sur une crainte ornée de fleurs
les doigts serrant un tissu fragile et satiné
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dans des tissus de laine
nous berçons un oiseau mort
nous multiplions les rivages
sols de lenteur
nous avançons interminablement
portant contre nous
l'étoile éteinte
notre sève ancienne
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on est ce corps
qui effraie un chevreuil
qui porterait le sang
on raye
le nom
la langue
on dormira sur une paillasse
d'herbes
aigres
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le soir
à contre-courant du vol des corneilles
voyelle grise
à peine un mouvement de gorge
silencieux
lentement
on plie les linges
du jour
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est-ce qu'on songe encore
à des terres
rouillées par la lumière?
on est assise devant le mur
de la nuit
qu'est-ce que vivre?
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la cime de la forêt
est une ligne d'écriture
noire sur ciel clair
tracé de quels
mouvements imperceptibles?
on voudrait parcourir
des souterrains
où penser n'est encore
qu'effleurements
grains de pollen sur une lèvre
le cercle silencieux de la langue
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certains replient
des bâches emplies de gravats
certains ferment des portes
on range le soir dans de grandes caisses
d'espace
on empile les feuilles
mortes
quel corps chavire
dans l'absence?
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comme une toile rugueuse
d'ombre et de vent
nous couvre et nous dépouille
la nuit blanchit la pierre
tu boiras le lait du sel
et une rivière d'épines
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on a raccommodé les berges
entre lesquelles coulait
un fleuve noir
immenses seraient
mains déversant la cendre
tressant les fils
on ne connaît plus les lisières
peut-être marche-t-on
sur un chemin de nuages
avec le vent
contre le visage
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incultes sont nos mains
sous le vent
gris
nous les froissons
sur nos visages
crépusculaires
quand quelqu'un pleurera
des rivières couleront
dans chacune de nos paumes
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les lambeaux d'un
enfant de brume
marchaient dans la mémoire
où flambaient
les feuilles mortes
son souffle bat lentement
contre notre tempe
et quelque chose
trace une voie
imperceptible
devant nos pieds
obscurs
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on se glisse dans un roc
à demi effacé
sous un vieux
manteau de laine
alors on a les mains calleuses
un corps rugueux
on bêche la terre
du soir
sous des bourrasques de vent
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l'arbre est debout dans
longue blessure fossile
pourquoi donner nos mains
à l'entaille
perdre langue?
c'est dans un livre ancien
que la sève suinte
sang opaque de la mémoire
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des bêtes nocturnes
creusent des terriers dans
des friches obscures
un peu de poussière est
estompe de clarté
aride
au bord des yeux
on s'éclaire avec
quelques cristaux de sel
tombés
sur la terre
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on gravit l'ombre jusqu'aux
arbres
cortège des pleurants
ne tracent pas
de chemin
marchent sans sol
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quand les oiseaux noirs
disparaissent dans l'ombre
on replie
les livres
et les linges boivent
le sang
jusqu'à une terre
de cendres
sans
un reste d'enfant
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l'un vient frapper
à la bordure du toit
sous l'ombre envolée
vieilles ardoises et
lichens secs dans
un récit ancien
on fermait les yeux
on suivait
le semeur du froid
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est-ce qu'on pense
à une peur d'enfance
quand on s'enfonce dans l'ombre
de la vallée?
suspendre le souffle
était une île étroite
courir l'aurait submergée
on garde en soi
imprononcé
le nom de
l'enfant abandonné
esquisse au bord des lèvres
sa silhouette transparente
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on soulève
la pierre recluse
secouant
ses hardes de salpêtre
et de poussière
on la porte là-haut dans la lumière...
mais l'ombre absorbe
le sel gris de la soif
le vent
cloue ses pieux de froid
dans la matière friable
de la terre
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écrire
est-il un chemin carrossable?
on traîne
des lambeaux déchirés
alourdis de terre
entend cahoter
des masses compactes
derrière soi
contre les pierres
les encres
tombent
en poussières noires
où puiser l'eau d'écrire?
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on porte
la lettre des sangs
partagés
dans le halo
de la lumière lunaire
derrière une moisson de nuages
on s'échine à
ramasser
des poignées de terre
quelques cailloux acérés
des fragments de toisons
égarés...
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on est peut-être
ce grand corps noir
ployé par
la lumière de lune
on veille sur
la tombe étroite
de l'enfant mort
posée dans nos deux mains
contre la terre obscure
stagne une odeur de pailles
fermentées
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plaie d'énigme dans le soir
entaille blanche de la brume
qui monte de la vallée
nous donnons nos bras au crépuscule
pour que la pluie les lie
nous recousons mot sur mot
au bord de
la bouche silence
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sous des
basculements de nuages
on cloue des caisses de froid
réveillant les rocs
des chiens de nuit
entassés au bas des pentes
rauques ils sont
concrétions des sangs versés
ils remuent des chaînes obscures
et lèchent la rouille des mains
alors on verse
sur le sol
les restes des encres
oxydées
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on secouait tout le jour
de grands draps de toile brute
on songe à celle
dont les mains se fissuraient dans l'eau glacée
celle
dont les cris
étranglaient un enfant craintif
au bord d'un puits
on frappe encore
un feutre épais contre
le mur du froid
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on ne connaît
celui qui sert les cordes
sur un chargement d'air
raclant le sol
vers l'horizon
rocs de basalte qui tombent
en avant sur la voie
et rivière
celle
qui mange les reflets
celle
qui couvre ton visage de noire
transparence
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jour et ombres
effilochés
confondent leurs gris
quelque chose là-haut
pleure depuis la cime
on trace des lignes
verticales des
rideaux de neige
quelque chose lape en bas
les relents de l'humide
viendront
les bêtes du froid
qui nous
emporteront
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on a vu l'oiseau
emporter l'espace
avec lui
on reste sans sol
bouche portée au blanc
de la brume
quelqu'un retient
toutes les tiges
les cerfs-volants d'air
jusqu'à l'usure
brins de cordes
rompus
friches du seigle
retournées
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eux là-bas
aveuglés par la bruine
s'en vont viennent
oripeaux du vent en plein visage
butent contre
une lumière de salive sale
traînent leurs vêtements dans la boue
ceux qui couvrent le soir de vieilles usures noires
ceux qui n'ont pas de pieds...
il y a des brouets d'herbes acides
et de nuit
qui montent du sol
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combien de corps
désarticulés
sous des cassures de ciel
d'où déferle la nuit?
trouvera-t-on
des débris de mots
parmi les hurlements du vent
qui disloquent
l'arbre noir?
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haute gorgée de nuit
qui tombe des sommets
on dit:
"un brouillard noir"
mais c'est la terre
qui lève l'encre
dans l'air
la neige est grise
on renverse la montagne
pour boire à sa coupe
une colère
qui gronde dans la forêt
secouée par le vent
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charbonneuses forges de vent
attisent
immenses brasiers
de pourpre et de suie
roulement interminable des rocs
arrachent
noirs quartiers de terre
bousculent troncs morts
corps équarri
souffle déraciné
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l'un
accroupi contre les vieilles pierres
resterait encore
dans l'attente des troupeaux
portant cendres
à sa nuque
il prierait sans fin
pour un cortège d'avant le jour
renverserait le lait
sur la terre
mêlée d'un peu de neige
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des tracés dans le ciel
puisent au souvenir
d'une main malhabile
s'efforçant de dessiner
...
la mer
enfant soudain
voyant ses
gestes et corps
éteints en
lui
jardin
inculte
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_________________________________________________________________________________________________________
on puise une seule brume
et l'écume de l'obscurité
on enduit les fronts
marquant les corps qui
marcheront pendant la nuit
au son des
sonnailles claires
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elles étaient
posées
au bord du ciel
feuilletant
les dictionnaires du monde
on marchait
la matière du soir
brume et
lumière solaire
se confondaient:
au loin
vapeur luminescente
poussée par le vent
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les arbres migrateurs
devant le feu du ciel
cohorte noire
on remonte le long
du cortège
rivière inverse
il nous faudra
des yeux de bêtes
pour lire le noir
et des bourrasques dans les bras
pour renverser la terre
avals vers amonts
amonts vers avals
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on revient
d'un brouillon de mémoire
des bribes de gestes
entrent dans
la danse lente du feu
dans quel corps
reconnaître la lumière
comme le reste écarlate
de la soustraction du jour?
est-ce que ce sont des mains
qui tirent sur
les écheveaux de la nuit?
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dans les cavernes obscures
qui s’alignent au bord
du crépuscule
on enveloppe des corps
dans des cordages d'encre
on cloue des caisses
on entasse des mains
sur le dessus
en guise de couvercle
fermé
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c'est un chargement de lumière lointaine
au ciel dans les nuages
qui roulent et s'accumulent
tombant au gouffre
d'étouffement
perdant le souffle
il
berger de brume
entasse les pierres et
les bêtes
mêlant les corps
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il y avait
flèches d'arbres
gribouillis de branches
encre et
déroulements de sources nocturnes
un miroir d'eau
captant le ciel
entier
où on s'écorche
à une pointe de lune
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un quignon de froid glacé
nous érode le visage
on voudrait remonter
depuis des ténèbres invisibles
des pelletés de terre
des fourgons de rocs
d'autres noirs
nos doigts sont égarés
et ployé notre dos
le poids du fardeau
dans la nuit
est notre nom
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on transporte avec soi
écharpe au corps
l'étoupe du soir
on frotte un peu
tête haute
à des soupçons de sang
étirés dans le ciel
on voudrait croire que
la mémoire est cerclée de rouille
mais on entend remuer
des fouillis d'ombre
dans les caisses
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avec les doigts gelés
on soulève la neige
on cherche la terre
sous des paupières noires
les jours éteints sont accumulés
des relents aigres
qui troublent les regards
la neige est grise
dans les mots du crépuscule
la neige est cendre
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une carrière de pierres blanches
en soi
la poudre de la neige
on se couvre
d'un manteau de froid
cendres au bout des manches
soulever
un fragment de ciel
comme une coupole
on célèbre
une langue cristalline
balayant repoussant
les copeaux des mots équarris
sous la raide toile du gel
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là-bas
péniblement
contre le vent
avance
bouche emplie de
poignées de neige de
poignées de neige
caverne comble et
bouche comble
immenses montagnes grises
s'effondrent en silence
et toutes les nuées de nuit
déferlent...
péniblement
dans la nuit
disparaît
quelqu'un
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_________________________________________________________________________________________________________
quelqu'un lève haut
tout un récif de pieux acérés
clameurs d'arbres et
silhouettes noires
comme fagots serrés
de bras et de branches
où s'écorche la pénombre
tombant du ciel
on est
hampe élevent
ce chiffon de toile grise
figé par le gel
_________________________________________________________________________________________________________
blancheur aiguisée de la neige
et le froid arase le visage
même les mots
sont réduits à
presque rien
poussières glacées
cristaux infimes
de ce qui se tait
soulevés par le vent
_________________________________________________________________________________________________________
nous étions éteules
restes de nos souffles abrasés
nous ne savons plus
suivre la voie
de la lampe éteinte
du crépuscule
nous cherchons éclats
et tessitures de galce
nous avançons sur les genoux
usant même
notre ombre
invisible
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nous ne savons pas nous défaire
de ces paquets de ruines
que nous traînons avec les pieds
cela nous tient
dans l'obscur
une mèche seule
encore
dans la montagne
capte un peu de lumière
nous songeons à celle
qui traînait l'eau
dos rompu
nous savons que nous l'appelons
dans notre visage
inconnu
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on porte
ciel et transparence
et on porte
le sable des sédiments
dans un même corps
il est
sablier entre jour et nuit
où coule
une poussière rouillée
par l'âcre rouage des heures
tombées sur le flanc
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vient une sombre heure
dans les chiffons du vent
qui claquent
le ciel rabattu sur les sommets
on s'efforce de tenir droite
dans l'air froid
une herbe grêle
tirée d'une poche
comme l'un
élevait un jour
un bâton
gravé des encoches
des ombres abattues
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l'obscurité gèle
au contact de la neige
nous peinons à
avancer
creusant dans
un brouillard noir
les failles sont
des voix anciennes
résonnant encore
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recueillir la pluie
dans ses plus lointaines coupelles
d'absence
sans ciel et sans visage
on est le pont des plaintes grises
la rivière jette ses flots
contre les berges
et noie les pierres
on tourne un brouet de neige
fondue
une eau mêlée de nuit
un peu de terre
on croit à un
basculement de la langue
sur le bord de la nuit
tourmentée
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on est là
rivière seule
et
reflet de nuit
disparu
en avant de la nuit
au cœur des bourrasques de neige
on aspire le vent
par goulées
cherchant un corps
buvant
les noms mêmes
du corps
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on a le geste de tailler
des pieux de neige
comme on chercherait à élaguer
des buissons de mots
dans le fossé
silencieuse
l'eau coule sous la glace
on ne sait pas
s'il reste un peu de sang
dans la clarté de la neige
les ombres se rétractent
_________________________________________________________________________________________________________
noires charpies du vent
s'étranglent
dans des tranchées
de souffle rauque
grains de neige gelée
frappent le visage
on voit quelqu'un
yeux bouche emplis de neige
une statue de plâtre friable
dessinée sous
les paupières froides
_________________________________________________________________________________________________________
on voudrait resserrer contre soi
les manteaux du crépuscule
mais des grands pans de feutre
sont déchirés par le vent
quel serait l'enfant
qui s'attacherait à son mât
de rêves
s'envolerait vers
un autre ciel?
un
enfant
va
d'une caverne chaude
à
la transparence aveugle
d'un corps
de ciel
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on ne sait pas si
le rose un peu
au ciel
mobile
poussé par le vent
pourrait être drap de flanelle...
mais si froid
que les bêtes s'y cassent
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on suit quelqu'un qui avance
devant nous
un dos courbé
mains
de branches noueuses
dans l'ombre
on ne sait plus si
cette silhouette obscure
marche
en avant de nous
ou si elle nous pousse
dans sa langue
tue
nous traînant sur le sol
de notre mémoire
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quelqu'un
serait une lampe
fouillant la neige
du crépuscule
son dos
s'embrase un instant
avant la nuit
nuages opaques là-haut
qui tombent dans
un puits de lumière
creusé dans l'obscur
mais où s'en vont
ceux qui entendent des pleurs
araser sans fin
les horizons?
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il faudrait
poser une main
sur la crête noire de la forêt
dans un lieu qui n'existe pas
on abrite des bêtes
qui vivent sans nous
on porte
visage devant la scie du froid
certains mettront le feu
à la glace du soir
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brouillard qui repousse
l'obscurité
gris opaque
à la place de la nuit
peut-être que
nous entendrons
des voix souterraines
ou d'autres
suspendues à des branches
mortes
agitant des
chiffons de cendre
dans l'air épais
peut-être que nous sortirons par
une lointaine porte d'ambre
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déjà
les livres de nuit
la cendre du brouillard
glissée entre les pages
posée comme
étoffe de laine sous
le feu du ciel
elle étouffe le brasier
recouvre les braises
de sa poussière pâle
on retient les mots dans
le tunnel de la voix
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une laine encore
qui gonfle et estompe l'air
glissée sous
les pierres
sous les racines des arbres
elle soulève
une lumière solaire
autrefois disparue
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